Travail, culte et résistance : L’histoire de la confrérie sénégalaise des Mourides

Au premier appel du muezzin, Mamadou Diop se lève tranquillement de sa natte tissée à Touba, le cœur spirituel du Sénégal. Avant que le soleil ne perce le ciel du Sahel, il a déjà accompli ses prières matinales, balayé la cour de sa modeste demeure et commencé à se préparer pour une longue journée à cultiver des champs d’arachides – son offrande à la tarbiya (discipline spirituelle) de la confrérie mouride. Avec une petite radio qui diffuse la voix de Youssou Ndour, lui-même un fervent mouride, la routine de Mamadou est plus qu’un style de vie. Mamadou est un Baye Fall fier, un sous-groupe de la confrérie axé sur le travail en tant qu’acte de dévotion à Dieu. Pour les Mourides, s’engager dans des activités laborieuses est une forme de culte qui purifie l’âme et rapproche du divin.

Cette dévotion quotidienne et silencieuse reflète une histoire plus large : l’ascension et l’endurance du mouridisme, l’un des mouvements religieux et sociaux les plus puissants d’Afrique.

Les origines du mouridisme

Cheikh Ahmadou Bamba et ses disciples (source: Album familial Jean Geoffre)

Fondée à la fin du 19e siècle par Cheikh Amadou Bamba Mbacké, la confrérie mouride est un ordre soufi sénégalais qui a vu le jour à l’apogée de la colonisation française. En grandissant, il a été profondément influencé par les enseignements islamiques et la tradition soufie, qui met l’accent sur la piété personnelle, la dévotion et un lien direct avec Dieu. Bamba, vénéré sous le nom de Serigne Touba, prêchait la résistance non violente, l’autodiscipline et le travail acharné comme voie spirituelle vers la grâce divine.

La philosophie mouride, répandu dans les écrits de Bamba, était à la fois enracinée dans le mysticisme islamique soufisme et façonnée par les réalités sénégalaises. Ses poèmes, connus sous le nom de qasidas, offrent des conseils spirituels, des aperçus théologiques et des conseils pratiques pour naviguer leur spiritualité les défis quotidiens.

Éventuellement, la croissance remarquable du mouridisme a attiré l’attention des autorités coloniales françaises. Elles percevaient l’influence d’Ahmadou Bamba comme une menace potentielle pour leur contrôle de la région, et son refus de soutenir le pouvoir colonial lui a valu d’être intimidé (le mythe dit qu’il a été enfermé dans une chambre avec des lions) puis exilé par les Français. Bamba a été d’abord exilé au Gabon en 1985, puis en Mauritanie en 1902. Malgré les efforts colonials de supprimer le mouvement, la confrérie a continué à se développer, les disciples de Bamba maintenant leur engagement envers ses enseignements et diffusant son message. Au moment de son retour, la confrérie s’était fermement établie comme une force spirituelle et sociale majeure au Sénégal. L’héritage d’Ahmadou Bamba a continué d’inspirer et de guider la communauté mouride, qui a étendu son influence et ses activités dans tout le pays.

Touba, la “Mecque” sénégalaise

La grande mosquée de Touba, siège des Mourides (source: Wikipedia)

Bamba fonda la ville de Touba en 1887 pour offrir une demeure à sa famille et ses displines où ils pourront vénérer Dieu et continuer la philosophie mouride. Touba vient de Ṭūbā, un des arbres du paradis qui signifie prospérité. D’ailleurs, tous les quartiers dans la ville sont baptisées après un nom dans le Saint-Coran.

Aujourd’hui, Touba est le centre névralgique du mouridisme. Gouvernée par le Khalife général des mourides, successeur spirituel de Bamba, Touba fonctionne de manière semi-autonome par rapport à l’État sénégalais. Elle abrite l’imposante Grande Mosquée, la plus grande d’Afrique de l’Ouest, et le pèlerinage annuel du Grand Magal, qui attire des millions de Mourides du monde entier pour honorer l’exil de Bamba.

La ville de Touba est complètement indépendante et autosuffisante. Considérée comme une ville sainte, il y est interdit de boire de l’alcool, de fumer et de porter des vêtements indécents.

L’influence et l’héritage mondiale du mouridisme

L’influence du mouridisme s’étend bien au-delà des frontières du Sénégal. Les disciples mourides gèrent de vastes réseaux commerciaux, allant des marchés de rue de New York et de Paris aux petites entreprises d’Afrique de l’Ouest. Les commerçants mourides à l’étranger envoient d’importants transferts de fonds, renforçant ainsi l’économie et l’influence de Touba.

Youssou’ Ndour, icône de la musique sénégalaise et ancien ministre du tourisme, est peut-être l’adepte vivant le plus célèbre du mouridisme. Il invoque fréquemment Amadou Bamba dans ses paroles et a utilisé sa tribune pour promouvoir les valeurs mourides.

Le mouvement influence également la politique sénégalaise, bien qu’indirectement. Bien que la confrérie évite tout engagement politique formel, les politiciens cherchent souvent à obtenir les bénédictions des marabouts (guides spirituels) mourides, en particulier pendant les saisons électorales. De ce fait, la visite du président à la demeure du Khalife général des mourides des mourides est toujours très convoitée.

La confrérie des Mourides reste un exemple remarquable de résilience africaine, mêlant religion, travail et identité en une force qui façonne des vies de Dakar à Harlem. À l’heure de la mondialisation, son message de dignité par la discipline continue d’inspirer des millions de personnes à travers le monde.

Réferences

Afrifrom, “Understanding the Mouride Brotherhood: A Spiritual Movement in Senegal,” 3 juin 2024, https://bayefallspirit.com/understanding-the-mouride-brotherhood-a-spiritual-movement-in-senegal/

Courtney Faal, “Mouride Sufi Brotherhood,” BLACKPAST,  14 mai, 2009, https://www.blackpast.org/global-african-history/mouride-sufi-brotherhood/

Jack Poole, Good Governance Africa, “A brotherhood of man”, 31 janvier 2020,  https://gga.org/a-brotherhood-of-man/Wolof Resources, “The Mouride Brotherhood”, http://wolofresources.org/mouridism_article.htm