
Photo du cardinal guinéen Robert Sarah, pressenti pour être le prochain pape.
L’Afrique est-elle cet « immense réservoir de foi » comme ont pu l’appeler l’ancien président de la Côte d’Ivoire, Félix Houphouët-Boigny ou encore le feu pape Benoît XVI? Si cela a été le cas avec la colonisation qui marque son histoire, avec les missionnaires chrétiens qui se sont liés aux empires coloniaux des nations européennes, qu’en est-il des dynamiques récentes ?

Un gradient cultuel de deux religions prédominantes, voire concurrentes : le christianisme et l’Islam.
Par exemple du côté du christianisme avec les Églises évangéliques et pentecôtistes qui sont largement présentes en Centrafrique, en Éthiopie ou en Namibie, où il s’agit d’un culte d’unité religieuse, ainsi que les églises fondées par les prophètes autochtones (le harrisme en Côte d’Ivoire et au Ghana et le kibamguisme en pays bacongo) et les mouvements Aladura au Nigéria et dans le golfe de Guinée.
Du côté de l’Islam, entre mouvements musulmans réformistes et fondamentalistes, on peut remarquer un semblant de gradient géographique de l’influence oblitérée de cette religion au détriment de la première, d’abord avec des pays où il s’agit de la seule religion comme les pays du Grand Maghreb, le Soudan, la Somalie, Djibouti et les Comores, où on pourrait parler de « religion d’Etat », puis là où elle est majoritaire, comme dans les pays du Sahel (Sénégal, Mali, Burkina Faso, Niger et Guinée) et enfin là où il y a une véritable coexistence des pays où les religions chrétiennes et l’Islam se font concurrence à peu d’écarts, comme au Nigeria, la Côte d’Ivoire, le Cameroun, le Tchad l’Erythrée et l’Ethiopie.
Dans ces États, la conjugaison du politique et du religieux n’aura jamais été aussi employée au mode actif. On peut évidemment penser aux exemples les plus manifestes et encore actuels de l’interaction de ces deux sphères, en Somalie avec la présence du jihad des Shebab, en Afrique orientale avec celle d’Al-Qaïda, au Mali où l’on retrouve celle d’Aqmi, au Nigeria de Boko Haram, et sur la moitié orientale du continent, celle de Daesh.
L’Afrique subsaharienne : une anomalie du politique et du religieux?
Toutefois, il convient d’apporter de la nuance à ces exemples extrêmes. Il semblerait que dans les autres pays du continent, malgré une présence prégnante du religieux, le soutien étatique demeure en réalité assez limité.
C’est l’analyse que suggère David Jeffery-Schyikkard, qui remarque l’anomalie dont sont porteurs les pays de l’Afrique subsaharienne dans le schéma écosystémique habituel faisant coexister le religieux et le politique dans une même sphère. Selon des enquêtes menées entre 2007 et 2018 par le Pew Research Centre, en Afrique subsaharienne, avec l’Éthiopie et le Sénégal en tête de liste, la moyenne des personnes déclarant que la religion était très importante dans leur vie était de 89%, soit deux fois plus que la moyenne internationale qui est de 46%.
Le paradoxe tient en ceci que là où ces pays ont des populations pieuses deux fois plus denses que dans le reste du monde, les États de ces mêmes pays offrent la moitié du niveau de soutien pour la religion. Ce soutien pouvant être quantifié et mesuré à travers des législations faisant entrer de force la religion, que cela passe par des pratiques de prière obligatoire ou des systèmes éducatifs favorisant les préceptes de la croyance. C’est ce que mesure le Projet « religion et État » de l’université Bar Ilan qui se fonde sur des critères comme l’accès exclusif de postes politiques aux autorités religieuses ou le financement d’écoles religieuses. Comment expliquer ce paradoxe?
L’autorité morale : un motif non-économique à la source de la pauvre « économie morale » des foules quant aux autorités religieuses
Une des hypothèses de cette différence a longtemps été le motif économique, argument selon lequel ces États apporteraient davantage de soutien s’ils détenaient plus de moyens financiers pour mettre en œuvre ces politiques religieuses. Or selon les données de la Banque mondiale dans l’ensemble, il n’existe pas de corrélation entre la capacité financière de l’Etat et le soutien à la religion.
Une explication plus juste serait celle du manque d’autorité morale des acteurs religieux. La politologue américaine Anna Grzymala-Busse désignant cette autorité comme le degré par lequel les citoyens perçoivent les acteurs religieux comme des défenseurs de la nation, surtout en temps de crise. Cette crise de confiance se voit notamment au Rwanda, où jusqu’en 1994 l’Eglise catholique romaine jouissait d’un grand prestige moral. A ce moment, l’Église contrôlait largement le système éducatif. La plupart des Rwandais étant catholiques, l’Eglise a maintenu une relation très étroite avec l’Etat après 1962, année de l’indépendance. Pourtant ce prestige a fini par se dissoudre lorsque l’Eglise a été perçue comme complice du génocide rwandais en 1994. Aujourd’hui, malgré 90% de Rwandais déclarant que la religion est très importante dans leur vie, le gouvernement garde des distances prudentes avec la religion.
Ce même contraste est notable au Mozambique, l’un des pays les plus religieux au monde mais où l’Etat n’offre pas son soutien aux différents cultes puisque le Mozambique est par sa constitution un État laïc. Ceci tient en grande partie au fait que l’Eglise catholique romaine aurait surtout dénoncé la lutte des mouvements de libération contre le Portugal.
Vers une laïcité (pan)africaine ?
Entre la volonté d’émancipation des pressions religieuses et les revendications culturelles, quelle est la place de la laïcité sur le continent? La laïcité, qui apparaît notamment comme étant l’une des solutions qui, historiquement, a permis de résoudre le conflit existant entre l’entité étatique et ecclésiale.
Si nous retrouvons plusieurs constitutions africaines de pays francophones basées sur le modèle français de 1958, avec la présence de la laïcité au préambule de la Constitution du Mali ou dans celle de la troisième République ivoirienne consacrant l’engagement à « défendre la laïcité de l’Etat », ce concept-valeur, toujours en débat, a-t-il des contours aussi nets partout?
Il peut encore y avoir certains cas oxymoriques, où l’on retrouve en même temps les vestiges de la religion d’Etat mêlés à une propension laïque, comme on le retrouve au Bénin, qui est un État Laïc (article 2) mais où le président élu prête pourtant serment en déclarant : « Dieu, les Mânes des Ancêtres » (article 53). Entre faits et réalité, la laïcité est donc plutôt un concept assez élastique et fluctuant selon les pays. Pour autant, il existe une crainte de l’irruption du religieux, comme en témoigne l’interdiction des partis liés à une confession.
Cela au nom surtout du principe démocratique. « L’État démocratique, c’est l’État qui ne se reconnaît pas le droit d’imposer une dictature dans le domaine spirituel. Dans un État démocratique, il n’y a pas place pour une dictature spirituelle du pouvoir politique » déclare le juriste et homme politique sénégalais Seydou Madani Sy, bornant les ambitions du politique et le privant des tentations du totalitarisme. Nous assistons dans ces pays francophones à une véritable institutionnalisation de l’encadrement du religieux par l’Etat, pour sa régulation, voire pour sa dérégulation.