Le 11 février 2025, le Parlement européen adopte une proposition de résolution commune sur l’escalade de la violence dans l’est de la République démocratique du Congo. Les députés réclament la suspension immédiate du protocole d’accord UE-Rwanda, le gel de l’aide budgétaire, la rupture des liens entretenus avec le M23 ainsi que “l’annulation des championnats du monde de cyclisme […] si le Rwanda ne modifie pas sa position” (Source : Parlement européen, RC-B10-0102/2025) . En effet, et pour la première dans l’histoire des championnats du monde de cyclisme sur route, la 98ème édition se déroulera en Afrique, du 21 au 27 septembre prochain. Son organisation a été confirmée par David Lappartient, le Président de l’UCI, qui s’est rendu personnellement aux côtés de Paul Kagamé en février dernier lors du Tour du Rwanda, et ce, malgré l’intensification de la pression internationale.

Crédit : TOUR DU RWANDA
Ici, nous ne reviendrons pas sur le rôle du Rwanda dans la guerre à l’est de la République Démocratique du Congo (Aux origines du chaos : histoire d’une guerre sans fin en République Démocratique du Congo – lagrandeafrique.media), mais bien sur l’utilisation du sport comme outil d’influence par Kigali. Nous identifierons deux leviers d’actions de la stratégie de Sport Power mené par le Rwanda tout en s’interrogeant sur leur efficacité quelques mois après l’accord de paix entre Kigali et Kinshasa.
Le sponsoring sportif ou la mise en place d’une stratégie de nation branding
De “Sublime Côte d’Ivoire” floqué sur les maillots de l’Olympique de Marseille et du Stade Français, à la République du Congo associé à l’Olympique Lyonnais en passant par la République Démocratique du Congo liée au FC Barcelone et au Milan AC. Le sponsoring sportif s’impose comme un levier stratégique des politiques d’attractivité de plusieurs pays africains et le Rwanda n’échappe pas à cette dynamique, il en est même l’un des pionniers.
En 2009, l’Etat crée le Rwanda Development Board (RDB), un département gouvernemental dont le directeur exécutif est nommé par le Président. Il a pour mission de coordonner et de centraliser l’ensemble des actions favorisant l’attractivité du territoire. L’objectif est de modifier l’image du pays marquée par le génocide des Tutsis, survenu en 1994, à travers l’incitation aux investissements multi-sectoriels et le développement d’une offre touristique de luxe articulés autour des parc nationaux. Le RDB décide de mettre en place une stratégie de nation branding en créant une marque “Visit Rwanda”. Dès 2018, un contrat de sponsoring est signé avec le club de football anglais d’Arsenal pour un montant de 30 millions de livres sur trois saisons en échange de la présence de la marque sur les manches des maillots. Les effets sont immédiats. En 2018, la fréquentation touristique augmente de 42% et la moitié des supporters d’Arsenal considèrent désormais le Rwanda comme une destination touristique contre seulement un tiers auparavant. Dès l’année suivante, le RDB intensifie sa stratégie en concluant un partenariat avec le Paris-Saint-Germain qui diffuse la marque au Parc des Princes et sur les maillots d’entraînement.
Mais derrière cette vitrine soigneusement construite, la réalité géopolitique finit par rattraper l’image du Rwanda. Début 2025, la milice armée du M23 soutenue par le Rwanda prend possession de Goma et Bukavu, deux villes riches en minerais au nord de la République Démocratique du Congo. Face à cette situation, la communauté internationale s’indigne et les supporters des clubs partenaires s’opposent ouvertement au maintien des accords avec Kigali. Du côté du PSG, une pétition recueille 75 000 signatures et une manifestation aux abords du Parc de Princes est organisée. La pression monte autour du club, renforcée par la ministre des Affaires étrangères de la RDC, Thérèse Kayikwamba Wagner, qui qualifie ce partenariat de “tâché de sang”. Pourtant, et malgré ces contestations, le PSG annonce la prolongation de son accord avec le Rwanda jusqu’en 2028. Depuis, Kinshasa et Kigali ont signé un accord de paix sous l’égide de Washington le 19 juin dernier et la considération des dirigeants pour les revendications ont évolué. Ces dernières semaines, les supporters du Bayern Munich ont vivement contesté l’accord signé avec le Rwanda. Des banderoles sont apparues à l’Allianz Arena et des supporters ont pris la parole sur les réseaux sociaux, parvenant à faire plier la direction munichoise. Elle a annoncé redéfinir son partenariat en le concentrant sur “l’agrandissement de l’académie du FC Bayern à Kigali” et non plus sur la diffusion de la marque “Visit Rwanda”. Le revers pour Kigali est important mais sa stratégie est diverse, elle ne se déploie pas uniquement par le nation branding.

Crédit : Réseaux sociaux
Les grands événements sportifs internationaux (GESI), entre investissements dans les infrastructures sportives nationales et sportwashing
“Le cyclisme est le sport qui s’est le plus vite développé au Rwanda. Ça nous donne donc une légitimité pour organiser ce genre d’événement, pas seulement au niveau du continent mais aussi au niveau mondial.” En marge d’un sommet international à Paris en 2021, Paul Kagamé s’exprime dans les tribunes du journal L’Equipe concernant l’accueil des championnats du monde de cyclisme sur route.
Le Rwanda mène une stratégie d’accueil des grands événements sportifs internationaux afin d’élargir sa sphère d’influence et se rapprocher d’acteurs stratégiques sur la scène internationale. Depuis la décennie 2010, le pays à dépensé près de 250 millions de dollars dans la construction d’infrastructures sportives lui permettant d’accueillir près de 70 événements entre 2021 et 2024 et de se rapprocher des acteurs du sport les plus influents sur la scène internationale. La construction de la Kigali Arena pour 104 millions de dollars a permis au pays de devenir un partenaire privilégié en Afrique de la puissante ligue de basket américaine, la NBA. Le Rwanda a accueilli la Basket-ball Africa League de 2021 à 2024 et l’édition 2023 de Women’s Afrobasket. Conscient que le sport et la politique ne font qu’un, Kigali a accueilli le Congrès de la FIFA en 2023 qui réunissait l’ensemble des 211 fédérations affiliées, soit plus que les 193 Etats-membres de l’ONU. Candidat officiel depuis mars 2024 à l’organisation du prochain Grand Prix de Formule 1 en Afrique, le championnat du monde de cyclisme sur route 2025 est aussi un moyen de se rapprocher des puissants organisateurs d’événements sportifs comme Amaury Sport Organisation qui co-organise ce mondial.

Crédit : REUTERS – Jean Bizimana
Ainsi, et au-delà de l’enjeu d’attractivité économique et de l’élargissement de sa sphère d’influence, la mobilisation de ces outils du Sport Power répondent à un enjeux d’adoucissement de l’image du Rwanda face aux critiques sur sa politique intérieure. Sur le plan politique, Paul Kagamé s’est potentiellement assuré de rester Président jusqu’en 2034 après sa victoire avec 98% des voix en 2015 lors d’un référendum constitutionnel.Cette confiscation démocratique va de pair avec un durcissement des libertés publiques, marqué par l’emprisonnement d’opposants politiques et de journalistes. Sur le plan économique, le tableau est plus nuancé : si le PIB a enregistré une croissance moyenne de 8 % par an entre 1995 et 2022, les inégalités demeurent fortes. Avec un coefficient de Gini de 0,44, le Rwanda affiche l’un des niveaux d’inégalités les plus élevés de la Communauté d’Afrique de l’Est, juste derrière le Soudan du Sud. La constitution de Kigali en tant que hub technologique est également facilitée par la captation des aides internationales qui représentent environ 75% des dépenses de l’Etat alors que seulement 2% des Rwandais sont équipés de réfrigérateurs contre 6% pour l’Ethiopie ou 10% en Tanzanie.
Une situation politique nationale et internationale qui interroge, au moment où Kigali s’apprête à concentrer les regards du monde entier.
Bibliographie :
- Aubin, Lukas, et Jean-Baptiste Guégan. Géopolitique du sport. La Découverte, 2024.
- Dubinsky, Itamar. “(Don’t) Visit Rwanda: Rwanda’s Sportswashing and Its Western Facilitators.” African Studies Review, vol. 68, no. 2, 2025, pp. 315-337. Cambridge University Press.
- European Parliament. Joint Motion for a Resolution on the Escalation of Violence in the Eastern Democratic Republic of the Congo. Procedure No. 2025/2553(RSP), RC-B10-0102/2025, 11 Feb. 2025.
- L’Équipe. “Paul Kagame, président du Rwanda: ‘Le sport a rétabli notre image.’” 2021.
- Nye, Joseph S., Jr. “Soft Power”. Foreign Policy, no. 80, 1990, pp. 153-171.
- The Economist. “Three Decades After Rwanda’s Genocide, the Past Is Ever Present.” The Economist, 25 Mar. 2024.
- TV5Monde. “Pourquoi les États africains multiplient les partenariats avec des clubs européens.” TV5Monde Sport, 2 Sept. 2024.