Les villes nouvelles se développent, toujours plus, à l’échelle du continent africain, surtout depuis les années 2000. Non pas qu’avant cette date il n’y en avait pas, – Yamoussoukro ou Nouakchott démontrent l’inverse – ; simplement, plus de la moitié des villes nouvelles recensées en Afrique entre 1960 et aujourd’hui ont émergé à compter de cette charnière séculaire [1]. L’enjeu urbain en Afrique, si tant est qu’il faille le rappeler, constitue un dilemme au combien crucial pour le développement mondial. Et pour cause, “pratiquement tous les pays qui s’urbanisent le plus rapidement au monde aujourd’hui se situent en Afrique sub-saharienne, et cette région abritera les principales mégalopoles d’ici la fin de siècle” [2]. Pour remédier cette lancée urbaine frénétique qui sillonne l’Afrique, nombre de gouvernements ont envisagé la création d’une ou plusieurs villes nouvelles : Vision City au Rwanda, Chrafate au Maroc, Sèmè City au Bénin et bien d’autres.
Bien qu’il n’y ait pas de consensus sur sa définition, François Choay et Pierre Merlin proposent d’envisager la notion de ville nouvelle comme étant une “ville planifiée dont la création a été décidée par voie administrative, en général dans le cadre d’une politique d’aménagement régional” [3]. En d’autres termes, c’est une ville pensée par les acteurs politiques et généralement destinées à des fins spécifiques. Alors que certaines d’entre elles sont conçues pour désengorger une mégapole déjà saturée – Eko Atlantic City au Nigéria -, d’autres émergent pour devenir un pôle technologique à rayonnement continental – Konza Technopolis au Kenya -, et d’autres pour expérimenter de nouvelles techniques d’urbanisme durable – Ben Guérir au Maroc -. Toutefois, en dépit de cette floraison spectaculaire de villes nouvelles en Afrique, “on observe souvent des écarts très importants entre les plans sur le papier et la réalité” [4]. Comment peut-on alors expliquer les échecs successifs de la ville nouvelle en Afrique ? Cet article entend mettre en lumière trois aspects expliquant les limites de ces villes, trop souvent présentées comme des solutions miracles pour répondre aux multiples défis urbains africains, là où nombre d’entre elles échouent à bien des égards.
Une situation géographique handicapante
Un des facteurs qui fait vraisemblablement défaut à plusieurs villes nouvelles se trouve dans leur mauvaise situation géographique. Alors que certaines d’entre elles, se trouvent aux portes de grandes métropoles, comme Zenata pour Casablanca et Tema pour Accra, d’autres quant à elles se situent loin. Trop loin pour attirer de grands mouvements de populations. C’est notamment le cas de Konza Technopolis au Kenya. Alors qu’elle ambitionne de décongestionner Nairobi et devenir un pôle technologique incontournable du continent, elle paie pour l’heure les conséquences de son isolement géographique. A près de 75 km de Nairobi, la capitale du pays, et surtout la grande ville la plus proche. En comparaison, “Shenzhen a réussi en partie parce que c’était un avant-poste de Hong Kong. De même, Tatu, à une vingtaine de kilomètres au nord du centre de Nairobi, est mieux connectée à la capitale et à son marché du travail. […] Konza, en revanche, se trouve dans un splendide isolement […] sur les plaines d’Athi, où vous êtes plus susceptible de voir une girafe qu’un être humain” [5]. Il reste donc difficile pour Konza de devenir l’African Sillicon Valley que tant veulent y voir.
Des villes qui peinent à résoudre les profondes problématiques urbaines
Une autre vive critique des villes nouvelles réside dans le fait que nombre d’entre elles n’arrivent pas, ou pas encore, à solutionner les défis urbains pour lesquels elles sont présentées comme un remède. Diamniadio au Sénégal, pour ne citer qu’un exemple, est en construction
depuis 2017, et fut lancée sous l’impulsion du président Macky Sall [6]. Alors qu’elle “était censée permettre de désengorger Dakar et offrir du logement social […], Diamniadio est devenue une ville avant tout événementielle, avec un grand stade sportif, un centre de conférences, une hôtellerie destinée aux compagnies aériennes. Quinze ans après le lancement du projet, l’objectif d’accueillir les Dakarois en mal de logements ne s’est pas réalisé” [7]. Et pour cause, cette ville nouvelle fait jaillir des infrastructures stratosphériques, à l’image de celles susmentionnées, sans aucunement résoudre les préoccupations quotidiennes des citadins de Dakar, en proie à des enjeux économiques et sociaux de premier ordre. Et bien que certains fonctionnaires viennent à Diamniadio pour y travailler, les ministères y étant relocalisés, ils repartent aussitôt à Dakar une fois leur journée terminée, laissant derrière eux les 1500 habitants d’une ville dont il est pourtant prévu qu’elle en accueille 350 000 d’ici 2035 [8]. Dès lors, l’on peut considérer que Diamniadio peine à séduire les habitants d’un Dakar pourtant congestionné, notamment en raison du fait qu’elle devient davantage un espace urbain de divertissement et d’affaires que de mixité sociale.
Ville nouvelle, ville pour riches ?
La ville nouvelle étant pensée par les acteurs politiques, elle s’inscrit souvent dans une logique de rentabilité immobilière et de rayonnement international. Par conséquent, une grande partie d’entre elles ne sont accessibles qu’à une élite, comme donne à voir Al Sissi City. La future capitale d’Egypte émane de l’ambition du général au pouvoir, et du même nom, de secourir Le Caire, la plus grande métropole d’Afrique et du Moyen-Orient. Avec ses 23 millions d’habitants, auxquels s’y ajoutent deux millions de plus par an, Le Caire est asphyxié par une mobilité urbaine abyssale et par un développement urbain, formel et informel, tentaculaire [9]. Pour y faire face, les travaux pharaoniques de la ville nouvelle d’Al Sissi ont débuté depuis 2016, à une quarantaine de kilomètres du Caire. Avant même d’être achevée, Al-Sissi City est déjà pointée du doigt. En plus de ses infrastructures qui frôlent la démesure – avec son Iconic Tower en passe de devenir “la plus grande construction d’Afrique” et son futur quartier de défense amené à être “le plus grand du monde” devant le Pentagone -, cette ville censée accueillir six millions d’âmes est surtout hors de prix pour la grande majorité des Cairotes. Cela, dans un contexte où les prix de l’immobilier égyptien “augmentent de plus de 30% par an”, alors que “plus d’une personne sur trois vits sous le seuil de pauvreté” dans le pays [10]. Al Sissi City se transforme progressivement en un immense parc immobilier destiné à une clientèle particulièrement nantie. Loin de remplir une fonction sociale en permettant aux habitants du Caire les plus modestes de s’y installer, cette ville nouvelle n’attire que les grandes fortunes : “ceux qui ont déjà acheté des biens sont pour l’essentiel des étrangers qui n’ont pas l’intention d’y vivre” [11]. Enfin, il serait pertinent de poursuivre la réflexion sur le caractère intentionnel du transfert de la capitale du Caire à Al-Sissi City, pourtant créée ex-nihilo en plein désert. Selon l’analyste politique Maged Mandour, cela permettrait au pouvoir de “créer cette distance entre lui et les centres urbains [se rappelant des protestations place Tahrir au Caire qui ont conduit à la chute de Moubarak en 2012 lors du printemps arabe], afin qu’en cas de révolte quelque part, il puisse la réprimer sans que cela ne le bloque” [12].
Conclusions
En somme, une grande proportion des villes nouvelles africaines bâties depuis le début de ce siècle n’arrivent pas à atteindre les ambitions pour lesquelles elles ont été conçues et participent d’un projet qui dessert la majorité des populations urbaines. Toutefois, il n’est pas question d’être défaitiste, dans la mesure ou certaines villes nouvelles ont tout de même réussi à atteindre des résultats satisfaisants et encourageants : Kilamba en Angola, Ben Guerir au Maroc, Small Farm City au Malawi ou Sidi Abderrahman en Algérie à titre d’exemple. Et s’il y a bien une dernière leçon à retenir dans cette réflexion, c’est “qu’une ville met des années à se sédimenter pour devenir quelque chose”, pour ne pas citer Jérôme Chenal, alors patience !
Bibliographie
[1] Villes Nouvelles en Afrique – Urbanisme Francophonie.
Villes Nouvelles en Afrique – Urbanisme Francophonie (urbanisme-francophonie.org)
[2] Mason, J. (2023, 7 juillet). Who really benefits from new cities ? The Future Of Development.
https://chartercitiesinstitute.org/media-appearances/who-really-benefits-from-new-cities/
[3] Villes Nouvelles en Afrique – Urbanisme Francophonie.
https://www.urbanisme-francophonie.org/ressource-doc/villes-nouvelles-en-afrique/
[4] De Vergès, M. (2023, octobre 9). « Les projets de villes nouvelles en Afrique sont déconnectés des besoins réels des populations » . Le Monde.fr.
« Les projets de villes nouvelles en Afrique sont déconnectés des besoins réels des populations » (lemonde.fr)
[5] Lockhart, K. (2024a, janvier 12). Can Satellite Cities Help Solve Africa&rsquo ;Urbanisation Challenges ? The Future Of Development.
https://chartercitiesinstitute.org/media-appearances/can-satellite-cities-help-solve-africas-urbanisation challenges/
[6] New Cities Map. (s. d.). New Cities Map
[7] De Vergès, M. (2023, octobre 9). « Les projets de villes nouvelles en Afrique sont déconnectés des besoins réels des populations » . Le Monde.fr.
« Les projets de villes nouvelles en Afrique sont déconnectés des besoins réels des populations » (lemonde.fr)
[8] RTI. (2020, 20 janvier). Made In Africa : Diamniadio (Sénégal), la ville africaine du futur [Vidéo]. YouTube.
Made In Africa : Diamniadio (Sénégal), la ville africaine du futur (youtube.com)
[9] Looking 4. (2023, 8 décembre). Sissi-City : La Nouvelle Capitale qui pourrait Ruiner l’Égypte [Vidéo]. YouTube.
https://www.youtube.com/watch?v=-zfzzSHav8w
[10] Looking 4. (2023, 8 décembre). Sissi-City : La Nouvelle Capitale qui pourrait Ruiner l’Égypte [Vidéo]. YouTube.
https://www.youtube.com/watch?v=-zfzzSHav8w
[11] Looking 4. (2023, 8 décembre). Sissi-City : La Nouvelle Capitale qui pourrait Ruiner l’Égypte [Vidéo]. YouTube.
https://www.youtube.com/watch?v=-zfzzSHav8w
[12] The Wall Street Journal. (2023, 27 octobre). Why Egypt can’t afford its $ 58B new capital city | WSJ breaking ground [Vidéo]. YouTube.
Why Egypt Can’t Afford Its $58B New Capital City | WSJ Breaking Ground – YouTube
[13] Villes nouvelles : un bilan mitigé. (2018, 22 mars). Jeune Afrique.
Villes nouvelles : un bilan mitigé – Jeune Afrique