Une histoire du football féminin au Maroc

“Dans un mois jour pour jour, le Maroc, pays passionné de football, réunira les meilleures jeunes joueuses issues des six continents à l’occasion de la Coupe du Monde Féminine U-17 de la FIFA. Je suis impatient de vivre ce qui s’annonce comme une superbe célébration de notre merveilleux sport”. Le 17 septembre dernier, le président de la FIFA, Gianni Infantino, se comblait de l’organisation de la prochaine Coupe du Monde féminine U-17 au Maroc qui se déroule actuellement jusqu’au 8 novembre. Réunissant près de 24 équipes venues du monde entier, cette coupe du monde est la première d’une série de 5 éditions annuelles toutes accueillies par le Royaume. Même si l’organisation de cette compétition s’inscrit dans une stratégie d’accueil des grands événements sportifs avec la CAN 2025 et la CDM 2030, elle s’inscrit également dans une volonté de développement du football féminin au Maroc. Dans un article écrit par Loubna Belabess et Ismail El Hafidi pour l’Institut des métiers du sport de Kénitra en 2024, le nombre de joueuses augmenterait de 20% tous les ans depuis 2010 selon les chiffres de la Fédération Royale Marocaine de Football. Ici, et au-delà de l’utilisation diplomatique du football faite par le Maroc, nous nous intéresserons à la genèse du football féminin et à l’accélération de son développement au cours des 5 dernières années.

CREDIT : WILL RUSSEL – FIFA

1997-2019 : Entre genèse du football féminin et traversée du désert

Le 8 août 1984, une jeune marocaine de 22 ans s’élance pour la première fois lors de l’épreuve du 400 mètres haies aux Jeux olympiques de Los Angeles. Du haut de son mètre soixante-deux, elle franchit la ligne d’arrivée en 54 secondes et devient la première femme africaine et arabe à remporter une médaille d’or dans l’histoire des olympiades. Légende vivante de son sport,  Nawal El Moutawakel devient alors Secrétaire d’Etat chargée de la jeunesse et des sports le 13 août 1997 marquant le début de sa carrière en tant que gouvernante dans les plus grandes instances internationales du sport. 

 

Dès le début de son mandat, elle entend mener une stratégie de féminisation du sport marocain avec le développement du sport chez les jeunes filles et la création de Role Model pour augmenter la visibilité du sport féminin. Elle pilote alors la création de la première équipe féminine marocaine de football en confiant à Karim Bencherifa la responsabilité de constituer une équipe pour affronter la Suède lors d’un match amical. Malgré l’absence d’une ligue structurée, près de 250 marocaines issues de clubs amateurs se présentent lors des essais. Le match est un succès populaire et rassemble près de 40 000 spectateurs dans le stade de Rabat. L’équipe réussit ensuite à se qualifier pour la première édition de la CAN féminine au Nigéria en 1998 avant de réitérer cette performance en 2000.

CREDIT : Femmes du Maroc

Cependant, dans un contexte politique marqué par l’arrivée au pouvoir de Mohammed VI et les mouvements du 20 février 2012 qui provoquent une modification de la Constitution, le sport n’est pas une priorité et les lionnes de l’Atlas connaissent une longue traversée du désert jusqu’en 2019. Éliminées au stade des qualifications à plusieurs reprises, elles ne participeront plus à la CAN jusqu’en 2022 et les perspectives de développement du football féminin semblent minces dans un sport dominé par les hommes. Les clubs ne sont pas professionnels, les investissements sont insuffisants et les médias ne s’emparent pas du sujet. Il faut attendre l’année 2019 et la dynamique impulsée par Fouzi Lekjaa, président de la FRMF, pour que le football féminin marocain puisse connaître une mutation structurelle.

2019-2025 : “Le plan Marshall” ou le lancement d’une stratégie nationale d’ampleur

Le 9 octobre 2018, la FIFA lance une Stratégie pour le football féminin s’articulant autour de 3 objectifs clés : l’augmentation du nombre de femmes impliquées dans le football partout dans le monde ; l’amélioration de la valeur commerciale à travers la diversification des sources de revenus ; la construction d’un environnement sophistiqué permettant une présence accrue des femmes aux postes de responsabilités. L’écho est mondial et Fouzi Lekjaa reconnaît alors sa part de responsabilité dans les échecs successifs depuis son élection en 2014 : “Si j’ai fait des choix complètement ratés, c’est au niveau du football féminin. Je l’assume”. 

Le 5 août 2019, lors d’une journée d’étude nationale sur le football organisée à Skhirat, un ensemble de recommandations est proposé pour accélérer le développement du football féminin. La FRMF s’en saisit et crée la Ligue nationale du football féminin moins de 4 mois après cette journée. Figure du football féminin amateur, Khadija Illa est élue présidente. La ligue récupère la gestion des compétitions nationales de première et de seconde division. La stratégie nationale s’intensifie dès l’année suivante et  la fédération annonce un plan Marshall pour le football féminin. Le budget fédéral annuel passe à 6 millions d’euros contre 1 million d’euros auparavant, des contrats de performances sont signés avec les clubs, des subventions sont allouées annuellement pour moderniser les infrastructures et un salaire minimum est assuré pour les joueuses : 320 euros par mois pour la D1 et 240 euros par mois pour la D2. La fédération vise alors 90 000 pratiquantes et 10 000 cadres techniques d’ici 2024. A l’échelle nationale, la sélection se dote d’un sélectionneur renommé ayant remporté deux coupes d’Europe avec l’équipe féminine de l’Olympique lyonnais : Reynald Pedros. L’objectif est clair, remporter la CAN 2022 organisée au Maroc après des années d’absences.

CREDIT : FRMF

Les résultats sont saisissants, l’équipe des FAR de Rabat remporte la ligue des champions africaine en 2022 et les lionnes de l’Atlas se hissent jusqu’en finale de la CAN à domicile. Elles réalisent ensuite un parcours historique lors de la Coupe du monde 2023 en se qualifiant pour la phase à élimination directe avant d’échouer à nouveau en finale dans un stade plein lors de la dernière CAN 2024 organisée cette année au Maroc. Au-delà des résultats sportifs, la réussite se trouve également dans la place que le football féminin occupe désormais dans les médias. Dans une société marocaine marquée par le débat autour de la Moudawana, l’existence de Role Model et la construction de récits alternatifs – comme dans le film L’Bnat de Karim Hapette – participent au renouvellement des imaginaires et à la déconstruction des stéréotypes de genre.

Une double victoire pour le football féminin. 

 

Bibliographie :