Tontines : quand la solidarité devient un capital d’investissement face à l’exclusion financière.

Les tontines demeurent l’un des piliers du financement informel en Afrique. Ces associations d’épargne rotative offrent une alternative concrète à un système bancaire souvent inaccessible, en particulier pour les femmes entrepreneures. Aujourd’hui, les tontines se modernisent, s’adaptent et continuent d’incarner une forme de solidarité financière en constante évolution.

La tontine, un système de solidarité financière informel

Le terme tontine provient originellement du nom du banquier napolitain Lorenzo Tonti. Il développe au XVIIème siècle la tontine, afin de renflouer les caisses de l’Etat français. Le principe était simple : les membres d’un groupe de souscripteurs versent chacun une somme d’argent dans un fonds commun. En échange, ils percevaient des dividendes issus du capital investi. À la mort des participants, leur part revenait aux survivants, jusqu’à ce que le dernier souscripteur perçoit l’ensemble des revenus. L’État, quant à lui, profitait du capital initialement investi. Son fonctionnement moderne diffère légèrement mais son principe reste inchangé. Aujourd’hui, des groupes associant des amis, des proches, se réunissent de façon régulière afin de mutualiser leur épargne. Chacun contribue de manière égale en apportant une somme fixe. Les membres récupèrent la totalité des fonds mutualisés, à tour de rôle, jusqu’à ce que tous les membres de la tontine aient bénéficié des fonds. 

Il existe diverses formes de tontines : certaines sont mutuelles tandis que d’autres, à caractère commercial sont gérées par une tierce partie qui tient le rôle de modérateur en échange d’un intérêt. Il existe également des tontines financières offrant aux adhérents la possibilité d’emprunter les fonds récoltés selon un système d’enchères. A chaque tour, la somme récoltée est “vendue” au membre le plus offrant. Sur chaque somme prêtée, des intérêts sont perçus et constituent le bénéfice financier de la tontine. Ce dernier est ensuite reversé à la fin du cycle, proportionnellement à la participation de chaque adhérent.  En outre, la nature des relations entre les membres d’une tontine varie. Les tontines peuvent être fermées, c’est-à- dire organisées avec des membres d’un même entourage. Mais elles peuvent aussi réunir des personnes qui ne se connaissent pas et trouvent un intérêt commun dans la création d’une tontine. Cela se manifeste souvent au travers d’association entre membres appartement à un même secteur d’activité professionnelle. 

Ces systèmes de solidarité financière informels sont mis au service de projets divers et contribuent ainsi à l’autonomie de structures sociales et économiques telles que des boutiques, le développement d’une activité commerciale, l’achat de taxis ou encore le financement de l’artisanat.

L’exclusion financière, un frein à l’entrepreneuriat africain

La tontine, en tant que réel mécanisme de microfinancement autonome est une alternative au système financier formel. En effet, celui-ci reste très peu accessible aux populations africaines.

Selon les données publiées par la Banque de France en 2021, seuls 16 % des habitants d’Afrique Subsaharienne déclarent épargner auprès d’une institution financière. De même, l’accès au crédit formel demeure limité à 10 %  et 7 % en UEMOA et en CEMAC. Ces chiffres expriment une faible inclusion financière. Ainsi, l’accès à un ensemble de services financiers classiques tels que l’ouverture d’un compte bancaire, les moyens de paiement, l’accès au crédit ou à une assurance se trouve limité.

Pour les entrepreneurs, les très petites (TPE), petites et moyennes entreprises (PME), les conditions d’accès aux services financiers sont souvent restrictives notamment au travers de taux d’intérêts élevés. Les garanties matérielles à fournir sont inatteignables ce qui représente un frein à la croissance. Cet accès est également restreint par la faible densité des infrastructures financières. Les agences bancaires, distributeurs de billets ainsi que leur accessibilité au travers des moyens de transport accroissent le coût global d’accès à la bancarisation. L’asymétrie d’information entre les banques et les clients représente également un facteur d’exclusion financière. En effet, le manque de fiabilité des documents comptables et financiers limite la capacité des banques à sélectionner des emprunteurs solvables. Des mécanismes d’auto-exclusion en raison d’une surestimation des discriminations opérées par les banques sont également à l’œuvre.   

A cela s’ajoutent également les comportements économiques et préférences des populations. La monnaie fiduciaire est l’outil de transaction privilégié en Afrique. L’accès aux chèques et aux paiements électroniques étant limité, les services financiers formels se limitent à la réception de salaires, aux échanges avec les administrations publiques ou à la réception de fonds venant de l’étranger. Cela fait apparaître filigrane l’importance du secteur informel pour les très petites et petites entreprises. 

L’exclusion financière est également fortement marquée en fonction des variables socio-économiques. Ainsi, les personnes ayant un revenu plus faible sont moins bancarisées. On retrouve une surreprésentation du genre et de l’âge ou encore de la situation géographique en tant que facteurs discriminants. Les normes sociales, un plus faible accès à l’emploi ou encore le fait de vivre dans des zones reculées représentent un ensemble de facteurs limitants qui poussent ces acteurs à s’orienter vers le secteur informel pour pallier aux défaillances du secteur formel. Les réseaux personnels informels se présentent par conséquent comme des outils importants de d’investissement en Afrique en particulier pour les TPE et les PME. 

La tontine : un moteur d’inclusion financière et un levier de financement des projets entrepreneuriaux

La tontine se présente comme l’une des formes d’organisation financière les plus anciennes et les plus populaires en Afrique pour soutenir l’entrepreneuriat et pallier les défaillances du système financier formel. Dans un contexte où l’accès au crédit bancaire reste limité, la tontine constitue une solution d’auto-financement fondée sur la solidarité, la confiance et la proximité sociale. 

Reposant sur des liens sociaux forts, la tontine dépasse la simple fonction financière : elle est aussi un espace d’échanges, de soutien moral et d’apprentissage collectif. Les réunions périodiques renforcent la cohésion du groupe, favorisent la transparence et assurent une forme de discipline financière que n’imposent pas toujours les structures bancaires. En effet, les tontines sont basées sur la confiance qui représente le seul gage de sécurité.

Cet outil est particulièrement prisé par les femmes, souvent exclues du système bancaire formel malgré leur rôle central dans le tissu entrepreneurial africain. La tontine leur offre non seulement un accès à des ressources financières, mais aussi une autonomie économique et une capacité de décision dans la gestion de leurs affaires. En mutualisant les risques et en facilitant l’investissement, ces structures permettent de financer la création d’activités commerciales, la croissance des ventes ou encore la trésorerie courante, tout en stimulant la culture de l’épargne.

En somme, la tontine n’est pas seulement un instrument de survie économique : elle constitue un levier d’inclusion financière et d’empowerment, en transformant l’épargne collective en source de financement et d’investissement endogène.

Vers des tontines 2.0 ?

Pour pallier ces risques, de nombreux économistes plaident pour une transition des tontines vers le secteur formel au travers de la création de coopératives ayant un statut d’établissements de micro-finance. 

Cependant, c’est le développement de la numérisation des services financiers  qui représente l’évolution majeure du mécanisme de la tontine. En effet, la démocratisation massive de la finance mobile permise par un accès croissant à internet sur le continent s’accompagne d’une numérisation de tontines. Des applications comme MaTontine proposent des services financiers tels que les microcrédits ou encore des assurances santé. Elles permettent de mettre en réseau davantage de personnes et de toucher un public plus large notamment issu de la diaspora africaine. Ces applications sont plébiscitées pour leur sécurité. Elles permettent de réduire les risques de détournements par le gestionnaire dans la mesure où la plateforme se charge de mutualiser et de distribuer les fonds aux membres. De plus, elles permettent plus de discrétion ce qui favorise particulièrement l’indépendance des femmes qui peuvent gérer leurs finances sans avoir à se justifier. 

La tontine continue d’évoluer dans son essence solidaire. Qu’elle soit physique ou numérique, elle reste un maillon essentiel de l’inclusion financière sur le continent africain.

 

Pour aller plus loin : 

Feige, Jimmy, Georges Bidi, et Oumar Fane. « Tontines d’aujourd’hui et tontines de demain ? Enseignements de tontines d’Afrique de l’ouest  ». Vie & sciences de l’entreprise 224, no 1 (2025): 244‑268.

admin-institut. « La tontine, un vecteur économique de solidarité et d’entrepreneuriat ». Institut Afrique Monde, 25 janvier 2019. https://www.institutafriquemonde.org/index.php/2019/01/25/la-tontine-un-vecteur-economique-de-solidarite-et-dentrepreneuriat/.

Banque de France. « Vers une inclusion financière durable en Afrique Subsaharienne ? » Consulté le 27 octobre 2025. https://www.banque-france.fr/fr/publications-et-statistiques/publications/vers-une-inclusion-financiere-durable-en-afrique-subsaharienne.

Bidzogo, Emmanuel. « Vers un véritable autofinancement de l’investissement en Afrique ?: Témoignage en forme de projet, de souhait, de suggestion sur les tontines au Cameroun ». La Revue des Sciences de Gestion n° 255-256, no 3 (2012): 167‑70. https://doi.org/10.3917/rsg.255.0167.

Guérineau, Samuel, et Luc Jacolin. « L’inclusion financière en Afrique subsaharienne : faits stylisés et déterminants: » Revue d’économie financière N° 116, no 4 (2015): 57‑80. https://doi.org/10.3917/ecofi.116.0057.

Kadandji, André. « facteurs de la transition du secteur informel vers le secteur formel: Cas des tontines aux coopératives au Cameroun ». Journal of Academic Finance 12, no 2 (2021): 89‑102. https://doi.org/10.59051/joaf.v12i2.486.

Les tontines numériques, une innovation africaine contre la précarité. 24 septembre 2019. https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/09/24/les-tontines-numeriques-une-innovation-africaine-contre-la-precarite_6012897_3212.html.

rédaction, La. « Afrique : hausse de 60% du taux bancarisation africaine d’ici 2030 ». Africa24 TV, 6 novembre 2024. https://africa24tv.com/afrique-hausse-de-60-du-taux-bancarisation-africaine-dici-2030.

Voice of America. « Les tontines, une aide essentielle pour les ménages et les entrepreneures togolaises ». 21 janvier 2025. https://www.voaafrique.com/a/les-tontines-une-aide-essentielle-pour-les-ménages-et-les-entrepreneures-togolaises/7944763.html.