Le roi du Maroc, Mohammed VI, accompagne le président français, Emmanuel Macron, à son arrivée dans la capitale Rabat, le 28 octobre 2024. © Ludovic MARIN / POOL / AFP
Entre Paris et Rabat, le dégel est annoncé. La visite d’État d’Emmanuel Macron au Maroc, du 28 au 30 octobre, fait naître un espoir de renouveau dans les relations entre les deux rives de la Méditerranée. Après trois années marquées par des tensions et des incompréhensions, cet événement incarne un rapprochement bienvenu entre Paris et Rabat. Accueilli par Sa Majesté le Roi Mohammed VI dans une atmosphère empreinte de solennité, le président français a été reçu avec des égards qui témoignent de l’attachement particulier que le Maroc voue à son partenaire historique.
Symbole fort d’une réconciliation, ce voyage à l’organisation millimétrée marque un réel réchauffement diplomatique entre les deux pays et une volonté commune de tourner la page après trois années de brouilles. En juillet 2024, un tournant décisif avait déjà été amorcé lorsque la France a officiellement soutenu le plan d’autonomie du Maroc pour le Sahara, rejoignant ainsi la position d’alliés influents tels que les États-Unis et l’Espagne.
Paris-Rabat : d’une diplomatie en tension à un partenariat renouvelé
Depuis trois ans, la relation entre Paris et Rabat a traversé une zone de turbulences. Bien que l’Élysée ait soigneusement évité de parler de « crise diplomatique », les liens entre les deux pays se sont nettement refroidis. À l’automne 2021, la France a annoncé une réduction drastique du nombre de visas octroyés aux ressortissants marocains, divisant par deux le volume des demandes acceptées. Cette mesure visait à exercer une pression sur les pays du Maghreb, accusés de freiner le retour de leurs ressortissants en situation irrégulière. Parallèlement, la politique de rapprochement de la France avec l’Algérie a accentué les tensions avec le Maroc dans un contexte de relations rompues entre Alger et Rabat depuis 2021. S’ajoute à cela l‘Affaire Pegasus, révélée en 2021 par le consortium de médias Forbidden Stories. Les téléphones du président français Emmanuel Macron et de certains de ses ministres auraient été ciblés en 2019 par le logiciel espion israélien Pegasus, le Maroc étant désigné comme l’un des gouvernements mis en cause. En réponse à ces accusations, le Maroc a fermement démenti et dénoncé une « tentative de déstabilisation », comme l’a affirmé Chakib Benmoussa, ambassadeur du Maroc en France à l’époque. C’est donc dans ce climat de méfiance que la visite d’État d’Emmanuel Macron cherche à rétablir la confiance et à ouvrir la voie à un renouveau des relations entre les deux pays : la fin du cycle de désamour est actée.
La souveraineté marocaine : une force unificatrice pour le Maroc et la France
Dans ce contexte délicat, la question du Sahara se dresse comme un point central des relations entre le Maroc et la France. Lors de son discours devant le Parlement marocain, Emmanuel Macron a affirmé que « le présent et l’avenir » de cette région « s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine », établissant ainsi les bases d’une réconciliation nécessaire. Ce soutien explicite a été salué par les élus marocains, témoignant du temps fort et de l’impact diplomatique significatif de cette déclaration.
Préalablement, dans un courrier adressé au roi du Maroc à l’occasion du 25ème anniversaire de son accession au trône, le 30 juillet 2024, le président français avait déjà exprimé sa position, affirmant que l’avenir du Sahara occidental devait s’inscrire dans ce même cadre. Cette déclaration s’inscrit dans la volonté de Paris de resserrer ses liens avec Rabat, d’autant plus que le Sahara occidental, ex-colonie espagnole, est considéré par l’ONU comme un « territoire non autonome » depuis le retrait espagnol en 1976. Cette situation a alimenté des tensions entre le Maroc et le Front Polisario, mouvement indépendantiste soutenu par l’Algérie. En affirmant sa position, Paris se positionne en faveur du plan d’autonomie proposé par le Maroc en 2007, qui est perçu comme ‘’la seule base réaliste et réalisable’’ pour une résolution pacifique du conflit, selon Nasser Bourita, ministre marocain des Affaires étrangères.
Dans le sillage de ces déclarations, un geste hautement symbolique éclaire la posture diplomatique française : le Sahara occidental est désormais intégré à la carte du Maroc sur le site du ministère des Affaires étrangères, une « actualisation » confirmée par le chef de la diplomatie, Jean-Noël Barrot, dans la foulée du discours présidentiel. Ce soutien stratégique de la France à la souveraineté marocaine sur le Sahara reflète l’importance de cette question dans le renforcement des relations bilatérales. Ainsi, l’approche diplomatique française vise à naviguer habilement dans un contexte géopolitique complexe, tout en réaffirmant le rôle clé du Maroc en tant que partenaire privilégié dans la région.
La coopération économique : un levier central du “partenariat d’exception renforcé”
Cette visite d’État a marqué le lancement d’une Déclaration historique, affirmant un « partenariat d’exception renforcé » entre le Maroc et la France. Portée par une volonté conjointe, celle-ci ancre la relation bilatérale dans une nouvelle dynamique, axée sur des collaborations stratégiques. La coopération économique s’y impose comme un pilier fondamental, avec plus de 40 contrats et accords d’investissements signés pour un montant global dépassant les dix milliards d’euros. Ceux-ci mettent en avant des thèmes porteurs, tels que l’énergie verte, la connectivité, les écosystèmes industriels ou encore les infrastructures durables. Avec plus de 120 représentants économiques et industriels présents, l’initiative se veut un tremplin pour une collaboration à long terme. Parmi les projets phares, TotalEnergies a signé un accord préliminaire pour un vaste projet d’hydrogène vert dans le sud du Maroc, tandis que Veolia a annoncé le plus grand projet de dessalement d’eau de mer d’Afrique. Engie et l’Office chérifien des phosphates (OCP) ont scellé un accord de «partenariat dans la transition énergétique» auquel s’ajoute le soutien de l’AFD pour décarboner la filière marocaine des phosphates via un prêt de 350 millions d’euros. Dans un autre registre, le transporteur maritime CMA CGM s’associera à Marsa Maroc pour l’équipement et l’exploitation d’une partie du terminal à conteneurs du futur port « Nador West Med » sur 25 ans.
Emmanuel Macron et le roi du Maroc, Mohammed VI, à Rabat, le 28 octobre 2024. MOROCCO NEWS AGENCY / VIA REUTERS
Ces accords et déclarations d’intention prolifiques adoptent une approche holistique, tissant des liens entre divers domaines d’action qui vont bien au-delà de l’économie. Dans le domaine de la culture par exemple, la déclaration d’intention sur la coopération culturelle vise à renforcer les liens dans plusieurs domaines tels que ‘’’le cinéma, les jeux vidéo ou encore intelligence artificielle’’. Comme l’a souligné Rachida Dati, ces accords ‘’permettent de développer de véritables échanges dans tous les métiers liés à la culture, à l’art, au cinéma et au patrimoine », De même, la coopération éducative non seulement soutient l’enseignement du français, mais vise à renforcer également les filières techniques essentielles dans un horizon 2024-2026. Ce réseau d’engagements multilatéral crée un cadre dynamique et durable, un partenariat qui vise la globalité.
Le Maroc, moteur d’une relance stratégique africaine pour Paris
Dans l’agenda économique des trente prochaines années, un thème émerge avec force : ‘’la projection vers l’Afrique’’. Le Maroc, dont les investissements directs étrangers en Afrique ont franchi le cap des 800 millions de dollars en 2021 selon le ministère des finances marocain, s’est imposé comme le deuxième plus gros investisseur africain du continent. Il se positionne juste derrière l’Afrique du Sud et occupe la première place en Afrique de l’Ouest. Cette dynamique illustre une volonté manifeste de favoriser une collaboration Sud-Sud, soulignant ainsi le rôle croissant du Maroc sur la scène continentale.
Ainsi, le renforcement du partenariat franco-marocain, au-delà des enjeux bilatéraux, s’inscrit dans une logique de projection régionale qui transcende les simples relations entre les deux nations. Le royaume chérifien est présenté comme une « source d’inspiration » pour son action au Sahara et au Sahel, des zones marquées par des enjeux géopolitiques particulièrement épineux pour la France. Dans ce contexte, la position géographique stratégique du Maroc le distingue en tant que partenaire fondamental pour la France dans ses efforts pour renforcer son influence sur le continent africain.
Par le biais d’accords multisectoriels et d’investissements ciblés, la France viserait non seulement à renforcer sa position dans les projets de développement multisectoriels au Maroc, mais aussi à créer de nouveaux corridors économiques dans la région. Pour le Sénateur Christian Cambon, Président du Groupe Interparlementaire d’Amitié France-Maroc, « le Maroc peut développer des synergies de croissance et de développement triangulaires profitables à tous ».