Au cours de la dernière décennie, une vague d’artistes africains, dont Wizkid, Ayra Starr, Burna Boy, Tems, Fally Ipupa et Tyla, a surgi sur la scène mondiale du divertissement musical, s’affirmant comme des créateurs de tendances majeurs. Il s’agit là d’un changement important, qui marque la reconnaissance finale d’une branche de la musique mondiale jusqu’alors sous-estimée. Cet article se penche sur l’évolution de la musique africaine après l’indépendance. En particulier, les sons de l’afrobeat, un genre musical né au Nigeria après l’indépendance et porteur d’un riche héritage d’activisme politique, ont réussi à s’imposer comme le son principal de l’Afrique en dehors du continent. En comprenant sa trajectoire, nous pouvons nous faire une idée de son statut actuel et déceler les changements sous-jacents.
Une brève histoire : Musique, société et politique
Dans de nombreuses sociétés et civilisations africaines, la musique avait une importance qui allait bien au-delà d’un simple divertissement ou d’un passe-temps. Ele jouait un rôle essentiel, que ce soit dans le cadre de rituels ou en accompagnant des activités quotidiennes spécifiques au moyen de rythmes et de mélodies distincts. Un rôle qu’elle a continué à jouer, même après l’intégration brutale du continent dans le système capitaliste mondial. Dans la lutte pour l’indépendance, la musique s’est révélée être un outil puissant pour rallier les populations et les mobiliser dans la lutte pour la liberté politique. Par exemple, les chanteurs mau mau ont décrit de manière saisissante les mauvais traitements qu’ils subissent, servant à la fois de chroniqueurs de l’injustice et de catalyseurs de l’action collective.
Lorsque l’autonomie politique (formelle) a finalement été atteinte dans certains pays africains, de nombreuses chansons publiées à cette époque ont acquis le statut d’hymnes informels. Pensez au Cha Cha de l’indépendance de la RD Congo ou au Labanta Braço de Guinée Bissau. Grâce à leur origine populaire et à leur large diffusion, ces chansons sont devenues des symboles d’espoir et de solidarité, qui ont trouvé un écho profond auprès des diverses communautés du continent.
Cette relation entre le public et les arts musicaux, où ces derniers jouent le rôle d’amplificateur démocratique de la contestation politique, est restée prédominante dans la seconde partie du 20e siècle. C’est le cas de Miriam Makebaans en l’Afrique du Sud au temps de l’apartheid, qui a été exilée après avoir dénoncé le traitement brutal des Noirs et qui est restée une fervente combattante du système ségrégationniste.
Fela Kuti & AfroBeat : Africanisation et militantisme
L’un des plus grands artistes de cette époque est Fela Kuti, le père spirituel du genre AfroBeat, aujourd’hui mondialement connu. Puisant dans son héritage nigérian yoruba, Kuti a mélangé les rythmes du funk de James Brown et la culture de l’improvisation du jazz, créant un genre qui peut être considéré comme une quête paradoxale de l’africanisation de la musique moderne par le biais de l’hybridation. Un voyage qu’il a entrepris tout au long de sa carrière longue de dix ans, amenant l’afrobeat sur des territoires inexplorés avant d’être réapproprié par ses pairs et ses descendants musicaux. C’est ainsi qu’il a obtenu une reconnaissance internationale de la part de nombreux pairs de l’autre côté de l’Atlantique, tels que James Brown et Miles Davis.
Panafricaniste dans l’âme et vivant à l’époque tumultueuse du Nigeria post-indépendance, Fela Kuti a également joué un rôle important en critiquant ouvertement le régime dictatorial de son pays. Son complexe, Kalakuta, où il vivait avec sa famille et son groupe, a servi de plaque tournante à ses efforts créatifs et à son activisme. Dans un geste audacieux pour défier la dictature nigériane, il a déclaré que Kalakuta était une nation indépendante. Critiquant violemment le gouvernement dans ses chansons, son complexe a finalement été détruit lors d’une descente de police, ce qui a mis en évidence le lien étroit entre la politique et la musique que Fela Kuti incarne à merveille.
Musique contemporaine : Généralisation et contre-culture
Plus de 25 ans après la disparition de Fela Kuti, un nouveau géant africain a émergé au Nigeria : Burna Boy. Successeur autoproclamé de Fela Kuti, l’artiste le plus célèbre d’Afrique a tenté de perpétuer les messages politiques de son père spirituel en privilégiant les collaborations avec d’autres artistes nigérians et en publiant régulièrement des chansons sur la situation socio-économique difficile de son pays.
Dans ses albums les plus récents, qui coïncident également avec sa notoriété croissante, les critiques ont souligné le nombre de plus en plus important de titres à succès instantanés et d’égocentrisme. Simultanément, il a multiplié les collaborations avec des artistes éloignés de son style musical et de son public, ce que beaucoup interprètent comme une manœuvre calculée pour élargir son audience. Il semble donc que les opinions politiques exprimées par Burna Boy soient devenues un obstacle à sa célébrité croissante, ce qui l’a obligé à se tourner vers une musique plus accessible. Ainsi, bien qu’il promeuve des idées universalistes à travers ses nouveaux sons et ses collaborations, il est indéniable que la stratégie de Burna Boy, axée sur le profit, au détriment du contenu contestataire de sa musique, réduit l’origine profondément politique de l’héritage Afro Beat qu’il revendique à une simple esthétique. Une observation partagée dans une certaine mesure par d’autres, qui a déclenché une conversation la nécessité de conserver l’afrobeats.
Ceci étant dit, réduire la musique africaine à son intégration susmentionnée serait un déshonneur pour les mouvements musicaux politiques persistants qui ont émergé au 21ème siècle, serait un déshonneur pour les mouvements musicaux politiques persistants qui ont émergé au 21ème siècle. Le Maroc a connu l’émergence de la Nayda, un mouvement né en réponse aux réformes introduites par Mohamed VI. Empruntant des sonorités au Reggae et au Rock, le mouvement a un message idéologique clair, met l’accent sur le pluralisme, l’indépendance, l’autonomie et l’utilisation de dialectes populaires. En Ouganda, Bobi Wine, musicien de reggae devenu politicien, s’est imposé comme une voix importante de la jeunesse lors des élections de 2021. Son entrée en politique a été marquée par des difficultés, notamment l’emprisonnement et l’attaque de sa voiture. Wine considère son entrée dans l’arène politique comme une continuation naturelle des messages contenus dans sa musique. Par son activisme et son plaidoyer, il incarne les aspirations de la jeune génération ougandaise, qui aspire à un changement sociétal et à une réforme politique.
Conclusion
Ce bref aperçu de la musique africaine après l’indépendance, et de l’Afro Beat en particulier, montre le rôle profond de la musique et des musiciens dans la culture et la société du continent, bien au-delà de la simple gratification et du divertissement. Il s’agit d’une caractéristique unique qui a dominé le paysage musical, notamment grâce à des figures comme Fela Kuti et Miriam Makeba, mais qui semble avoir été déplacée vers les marges ou les arènes politiques formelles depuis le début du 20e siècle. Au lieu de cela, les artistes représentant le son africain sur la scène mondiale sont tenus de réduire leur dimension politique à un accessoire d’image de marque pour maintenir leur position hautement rentable. Ces évolutions importantes mais latentes nous obligent à penser la musique africaine dans sa multiplicité, réintroduisant la question de ce qui définit l’africanisation contemporaine de la musique.